Propos recueillis par Jérôme Martineau
Revue Notre-Dame du Cap - Avril 2008
NDC - Dans un livre-entrevue qui a pour titre La mémoire du cœur, vous racontez dès les premières pages que vous êtes un enfant unique. En quoi cette situation est-elle si importante pour vous?
André Daigneault - La situation d'un enfant unique est toujours un peu originale mais elle l'était davantage à l'époque où je suis né car j'ai aujourd'hui 69 ans. Les familles de cette époque comptaient habituellement de nombreux enfants. Je crois que j'ai souffert de solitude durant mon enfance mais je me souviens que mes parents ne voulaient pas que je me renferme. Ils invitaient beaucoup de personnes à la maison. Je pense que j'ai réussi à apprivoiser la solitude mais cela a pris plusieurs années avant que j'y parvienne. Ce goût pour la solitude me suit encore. Je crois que je ne pourrais pas bien fonctionner si je ne prenais pas des périodes de temps consacrées à la solitude. Cette solitude est devenue aujourd'hui de plus en plus habitée par la présence de Dieu.
NDC - Vous êtes devenu un ouvrier mais vous êtes un drôle de travailleur. Vous êtes un travailleur un peu intellectuel…
A. D. - C'est vrai! Je veux vous dire un mot sur une autre caractéristique de ma jeunesse. J'ai connu une enfance maladive et je n'étais pas très doué pour les sports. Je me suis mis à lire et je vous dis que j'ai beaucoup lu. Cette situation était rare à ce moment car mon père était un ouvrier. Je suis venu au monde dans le quartier St-Henri à Montréal. Mes parents lisaient beaucoup. Mon père lisait par exemple les romans de Victor Hugo. Je constate aujourd'hui que tout est grâce. C'est sans doute durant cette période de ma vie que ma curiosité intellectuelle s'est développée. Encore aujourd'hui je suis curieux dans le domaine de la vie intellectuelle. Je lis beaucoup de livres et je vais aussi au théâtre voir des pièces qui y sont jouées. Je suis devenu un vulgarisateur. Je présente à mes auditoires le fruit de mes lectures de manière à ce qu'ils les comprennent bien.
NDC - Assez curieusement vous racontez que vous avez vécu une conversion alors que vous aviez une vingtaine d'années. Qu'est-ce qui s'est passé?
A. D. - Je donne des retraites en France et je fais rigoler les gens lorsque je leur raconte que je travaillais dans le whisky. Je travaillais chez Seagram, le fabriquant de boissons alcooliques. Je m'étais éloigné de l'Église à ce moment-là de ma vie. J'ai vécu un retour à Jésus au moment où je lisais des philosophes comme Jean-Paul Sartre et le romancier Albert Camus. Je constate aujourd'hui que ce n'était pas une si grande conversion si je compare à ce que les jeunes vivent en ce moment.
J'ai vécu autour de la vingtaine quelques années difficiles. Je me cherchais et je ressentais un vide dans mon cœur. C'est la conversion d'un ami qui a ouvert une brèche dans mon cœur. Je me posais des questions. Pourquoi était-il si heureux? Quel appel Dieu lui avait-il lancé? Un bon vendredi soir je me suis acheté une bible avant d'aller passer une fin de semaine dans une auberge dans le nord de Montréal. J'ai ouvert cette bible et je suis tombé sur ce passage de l'évangile de Jean : «Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix et ce n'est pas comme le monde la donne que moi je vous la donne. » Cette phrase m'a ébranlé.
Le lendemain matin je suis entré dans une église et un prêtre confessait. J'ai senti le désir de me confesser. J'ai avoué mes fautes et j'ai senti l'amour de Dieu m'envahir au moment de l'absolution. J'ai ressenti une paix profonde m'envahir. J'ai entendu dans mon cœur un appel. Je ne pouvais plus être le même homme. L'amour miséricordieux du Père m'avait touché.
NDC - Vous entrez par la suite dans un institut séculier dont vous faites d'ailleurs toujours partie. C'était pour vous une manière d'être missionnaire?
A. D. - Je suis entré dans l'Institut séculier Pie X fondé par le père Henri Roy o.m.i. Le père Roy avait fondé cet institut et il voulait que ce soit des laïcs en majorité qui en fassent partie car il craignait que l'Institut se cléricalise trop. J'étais laïc et je me suis occupé pendant plusieurs années du magazine Je Crois. Je travaillais aussi à l'animation du mouvement La Rencontre. J'étais un laïc directement impliqué dans l'évangélisation car je prêchais des retraites. Je désirais cependant devenir prêtre.
NDC - Vous êtes prêtre depuis un peu plus de 25 ans. Est-ce qu'on peut dire que c'est la miséricorde de Dieu qui caractérise ce ministère?
A. D. - Ma conversion s'est déroulée lors du sacrement du pardon. Je peux dire qu'il y a eu dans ma vie une continuité à partir de cet événement. J'ai senti à ce moment dans ma vie que Dieu m'accordait son pardon gratuitement. J'ai été par la suite touché par le chapitre 15 de l'évangile de Luc. On y retrouve la parabole de l'enfant prodigue ainsi que la parabole de la brebis perdue. Jésus dit à la fin de cette parabole qu'il y a plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui commence une vie nouvelle que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'en ont pas besoin.
Je vais souvent dans les centres de thérapie rencontrer des jeunes et je leur parle de la miséricorde de Dieu. Je leur raconte qu'il n'y a pas un péché trop grand pour Dieu. La plus grande joie de Dieu est de manifester sa miséricorde. Plusieurs jeunes viennent par la suite me rencontrer et plusieurs se confessent pour la première fois. Je vais aussi dans les prisons. Je me souviens avoir prêché à des anciennes prostituées et ma plus grande joie a été de voir ces femmes venir me rencontrer pour demander pardon à Dieu. J'y ai vu le message évangélique se réaliser sous mes yeux.Le bon larron met en pratique ce que la Bible nous enseigne. Il nous dit que Dieu entend l'appel du pauvre qui crie du fond de sa misère. Dieu vient habiter notre pauvreté.
NDC - Vous rencontrez souvent des personnes qui ont vécu des situations humaines assez extrêmes. Qu'est-ce que vous leur dites?
A. D. - Ces rencontres sont souvent déterminantes pour ces personnes. J'ai toujours eu avec elles une attitude basée sur l'enseignement du philosophe Jacques Maritain. Il disait qu'il faut l'amour et la vérité ainsi que la vérité dans l'amour. C'est trop dur pour les gens que de leur annoncer la vérité sans l'amour. D'autre part, leur annoncer l'amour sans la vérité, c'est trop mou. J'aime beaucoup l'attitude de Thérèse de Lisieux. Cette grande carmélite nous propose une pastorale de la miséricorde sans nier la vérité. Je pense à l'image qu'elle utilise. Il s'agit de l'image de l'enfant qui est au bas d'un escalier. Il veut rejoindre le père. Il ne peut pas y parvenir car il déboule dès la première marche. Le père est touché par l'attitude de l'enfant qui veut grimper les marches. Alors, le père descend et il prend l'enfant dans ses bras. Thérèse dit à la suite de cette histoire que son ascenseur « ce sont vos bras, mon Jésus ».
Je remarque que nous avons toujours la tentation d'abaisser l'idéal évangélique pour essayer de rejoindre tout le monde. Je crois qu'il faut tenir à cet idéal. Je dis souvent aux personnes que je rencontre qu'il faut faire des efforts pour monter sur la première marche. O n'y réussit pas la première fois. Il faut se reprendre car le Père qui nous regarde nous aime et nous attend.
Je me rappelle d'un homme qui m'a dit qu'il ne s'était jamais confessé. Il a avoué ses fautes et il me semble qu'il rajeunissait devant moi. Il était heureux. Je dis aux jeunes : « Tu veux te faire un beau cadeau? Tu as fait des gaffes dans ta vie. Aimerais-tu demander pardon pour les péchés de ta vie? » Ils disent tous oui. Je ne leur fais pas la morale. Je leur parle de la gratuité du pardon. Ils pleurent de joie.
NDC - Donc, l'amour de Dieu est gratuit et il ne repose pas uniquement sur le fait que nous montrions de la force…
A. D. - Je crois que nous tombons souvent dans l'erreur proposée par Pélage au 4e siècle. Il disait que nous sommes capables de vivre l'Évangile à condition de nous forcer. Je choque un peu les gens lorsque je leur dis que le proverbe « Aide-toi et le ciel t'aidera » n'est pas un proverbe d'Évangile. Le ciel nous aide d'abord et avant tout.
NDC - C'est sans doute dans cette veine que vous avez écrit il y a quelques années un livre sur le bon larron. Qu'est-ce que cet homme peut nous apprendre?
A. D. - J'ai rencontré un jour un Français qui a une grande dévotion au bon larron. Il me disait que je devrais écrire un livre sur cet homme. Cela tombait bien car j'avais une dévotion au bon larron. On retrouve d'ailleurs en Orient chez les Orthodoxes une grande dévotion au bon larron. L'homme qui m'a parlé m'a fait parvenir ce que les Pères de l'Église ont écrit sur le bon larron. J'ai été surpris par l'abondance de la littérature consacrée à celui qui a demandé pardon à Jésus sur la croix. J'a observé que les chrétiens d'Occident ont plutôt vu en ce pécheur un homme chanceux qui a obtenu le pardon à la dernière minute de sa vie.
Thérèse de Lisieux a elle aussi été touchée par le bon larron. Sa sœur Céline disait que l'on parle toujours pour Thérèse de la voie d'enfance alors que l'on pourrait tout aussi bien dire qu'il s'agit de la voie du bon larron. Thérèse disait toujours que l'on paraissait devant le Seigneur les mains vides et qu'il ne faut pas faire tant de choses que cela pour être un saint.
Je crois que le bon larron obtient pour nous encore bien des grâces. Cela se produit selon moi surtout pour les gens qui approchent de la mort et qui ont délaissé l'Église. Le bon larron est près d'eux. Le bon larron met en pratique ce que la Bible nous enseigne. Il nous dit que Dieu entend l'appel du pauvre qui crie du fond de sa misère. Dieu vient habiter notre pauvreté.
NDC - Vous écrivez de la poésie. Une autre facette de vos talents. Est-ce que la poésie est importante dans votre vie?
A. D. - Je ne connais pas beaucoup de prêtres qui sont des poètes. La poésie me permet de m'exprimer dans un langage symbolique. Ce n'est pas pour rien si la Bible contient plusieurs livres poétiques dont le fameux livre des Psaumes. J'ai un tempérament sensible et je peux exprimer dans la poésie des sentiments que je ne peux pas dire autrement. J'ai vécu des épisodes difficiles dans ma vie et je pense que cela aurait été plus difficile de les traverser si je n'avais pas écrit de la poésie.
Je me rappelle d'une personne qui avait lu mes poèmes. Elle m'avait dit qu'elle avait été frappée par le fait que quelques poèmes exprimaient de la tristesse alors qu'elle voyait en moi un homme jovial plein d'énergie. Je lui ai expliqué que je vivais sans doute dans une période de ma vie plus sombre et que ce n'est pas parce que quelques poèmes sont plus tristes que je ne suis pas joyeux. Mon émotion s'est exprimée de cette manière. Je n'écris pas que des poèmes spirituels. Je ne crois pas qu'un poète ne puisse écrire que de la poésie spirituelle. Un poète est un poète! Mes poèmes rejoignent des gens que je ne rejoindrais sans doute pas par ma prédication. J'ai commencé à écrire des poèmes à l'âge de 17 ans. Je crois que les poètes sont comme des prophètes. J'ai écrit des lignes qui m'ont surpris lorsque je les ai relues quelques années après.
NDC - Quel est le fil conducteur de votre vie de prêtre?
A. D. - Je pense que c'est le cœur humain. D'ailleurs quelqu'un m'a un jour fait remarquer qu'il y a le mot cœur dans le titre de tous les livres que j'ai publiés. Je n'en avais pas pris conscience. Cela veut certainement dire quelque chose. Il y a des prêtres qui vivent plus au niveau du cœur alors que d'autres se situent plus au niveau cérébral. Quant à moi, j'utilise beaucoup la psychologie pour mieux comprendre le cœur humain. Il faut maintenant que j'accepte que j'ai un certain âge… Mais, j'ai encore du feu!